Actualités - Tchorski - Reportages industriels

Publié le 6 janvier 2010

Voici une initiative qui mérite que l'on s'y attarde !
Tchorski est un site proposant à ses internautes un voyage dans les patrimoines civil, industriel, religieux et souterrain au travers de photographies de grande qualité, tant physique qu'esthétique.
Amateurs de belles réalisations, passionnés de patrimoine, ce site est fait pour vous !


Tchorski est né de l'association d'un groupe d'amis qui partagent un serveur mutualisé hébergeant aujourd'hui 60 000 photographies. Il se consacre à la sauvegarde photographique du patrimoine, fruit d'escapades dans toute l'Europe (Belgique, France, Autriche, Italie et Allemagne).
L'intérêt est donc tout à la fois historique et artistique. Tchorski met en consultation, gratuitement, les reportages iconographiques de ses collaborateurs. Inlassablement, ces artistes-spéléologues-sauveteurs-historiens ont ici constitué une superbe collection de clichés inédits et accessibles à tous.

Vincent Duseigne (VD) : "Tchorski est le nom d'une région de Sibérie centrale. Cette région est plus connue sous le nom Kuzbass, c'est en tout cas le nom officiel de l'Oblast de Kemerovo.
Avec les villes de Kemerovo, Novokuznetsk, Anzhero-Sudzhensk, Leninsk-Kuznetsky, Kiselyovsk et Prokopyevsk, on obtient une connurbation de sites industriels d'industrie lourde (mines de charbon, mines de fer, cokerie, hauts-fourneaux, laminoirs, tréfileries) sur une longueur presque ininterrompue de 500 kilomètres. Quand on s'intéresse au patrimoine de l'industrie lourde, ce lieu représente un paradis. Cependant, c'est un paradis avec une très petite porte car les autorités russes ont une sainte horreur qu'on aille s'intéresser à cette région, d'autant plus si c'est pour l'industrie. Tchorski représente donc le rêve ultime, comme un objectif lointain.
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PIWB : Quelle est la structure de votre association ?
VD : "Nous sommes une association "à structure mouvante". De ce fait, nous ne sommes ni asbl, ni association de fait, ni collectif. Selon les années, nous pouvons entièrement changer de structure ou de personnes de référence. Nous avons été asbl en 1998, en 2004 et collectif en 2002. Les raisons sont assez simples, elles se trouvent à la fois dans des facteurs internes et externes à notre groupe.
Au niveau interne, nous pouvons changer de "membres" pour des raisons familiales ou des déménagements. Nous sommes très exigeants, c'est toute notre vie. Ca signifie que quelqu'un qui a un enfant se retrouve moins libre de partir tous les week-ends en recherches. Les lieux sont souvent lointains, il ne s'agit pas d'une activité ponctuelle d'un dimanche après-midi. Nous accueillons toujours, mais certains peuvent se sentir dépassés.

Au niveau externe, nous sommes victimes des changements structurels, notamment et surtout les démolitions. L'industrie a tendance à disparaître (démolition de la cokerie de Tertre, de la Safea, des hauts-fourneaux de Clabecq, etc.). On est donc proche du chômage pour les grands sites industriels ! En ce qui concerne les mines, on est presque à l'arrêt à cause des démolitions des entrées, les noyages, les injections, etc., par exemple les mines de fer de Lorraine, les potasses d'Alsace, l'anhydrite de la Moselle ou l'uranium du Limousin.
C'est le motif pour lequel on en vient à se tourner vers le patrimoine religieux, puisque cela, au moins, on le respecte encore.
Du coup, nos structures sont mouvantes. Face aux disparitions, certains s'entêtent et vont en Pologne, d'autres arrêtent, d'autres se reconvertissent dans le patrimoine ferroviaire...
Actuellement, nous sommes un groupe à peu près stable d'une dizaine de personnes. La plupart des membres du groupe ont d'ailleurs un site. On y trouve des profils fort variés. Nous nous sommes groupés pour nous soutenir dans les demandes d'autorisation, ou pour assurer la sécurité. Dans les lieux abandonnés, il ne faut jamais se promener seul. On s'accorde tous une grande confiance, nous sommes peu nombreux et soudés.
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PIWB : Depuis combien de temps existez-vous ?
VD : "Nous sommes actifs depuis des périodes variables. Le plus jeune est actif depuis un an, le patriarche est actif depuis maintenant trente ans. En ce qui me concerne, j'ai une expérience de 20 ans."

 

PIWB : Quelle est la philosophie du projet et quelles sont les motivations qui vous ont poussés à sauvegarder les
traces industrielles ?
VD :
"La philosophie est née de la situation. Etant enfant, nous nous promenions dans des usines désaffectées ou dans des mines pour nous amuser. Dans le courant des années nonante, on a commencé à voir les choses disparaître. La vague de démolition a commencé et s'est fortement accrue depuis 2004. Il s'agit aujourd'hui d'un véritable carnage. Ca nous a touchés de voir des lieux disparaître sans mémoire. Alors que nous n'étions encore que des adolescents, nous avons commencé à faire des photographies, pour garder des souvenirs.
Mais la "révolution" pour nous a débuté à Tertre. Nous avions écrit au Ministre de l'aménagement du territoire de l'époque, Michel Foret, lui signalant la présence d'un grand nombre d'archives manuscrites qu'il était opportun de sauvegarder dans un lieu comme le CLADIC, par exemple. Il nous a été répondu que nous n'avions pas de soucis à nous faire et qu'un service adapté s'en chargeait. Or, sur place, nous avons constaté que c'étaient les bulldozers qui "sauvegardaient" : à la benne, avec le béton et les morceaux de toitures.

Sur ce, nous avons décidé d'agir. Nous sommes entrés sur le chantier le week-end et nous avons réussi à sauvegarder 30 tonnes d'archives, qui sans nous, auraient disparu. C'est depuis cet acte honteux qui nous a fait perdre confiance que nous collectons les archives, pour autant que nos moyens le permettent, dans le but de préserver la connaissance industrielle, la mémoire et la dignité ouvrière. Tant de labeur ne peut partir à la benne comme ça. Nous avons pour projet de transmettre l'ensemble des archives à un musée en cours de construction, à Halanzy."


PIWB : Comment vos collaborateurs proposent-ils leurs réalisations ?
VD : "Nous ne choisissons pas ... (les points de suspension traduisent un certain désarroi). Nous passons autant que possible sur les lieux du plan Marshall, avant la démolition. C'est donc le gouvernement, la Spaque et les entrepreneurs qui choisissent pour nous. Ils vont beaucoup plus vite que nous, donc nous n'arrivons pas à suivre.
La cokerie de la Providence est l'exemple type d'une démolition exemplaire car nous avons eu une relation extrêmement riche avec Caroline Marlair, responsable communication de Duferco. Les lieux ont été largement photographiés et des archives ont pu être récupérées. Par contre, les forges de Clabecq sont le modèle même d'une démolition massacre. Si nous voulions sauvegarder des archives, nous aurions été obligés de les voler, ce à quoi nous nous refusons. Si nous agissons au-dessus des lois, notre action est décrédibilisée. II n'en reste pas moins qu'à Clabecq, 100 kilos d'archives manuscrites ont disparu dans le courant du mois de février. Lorsque nous souhaitons intervenir, des groupes de sécurité privés nous pourchassent avec plusieurs véhicules tout terrain, des spots haute puissance, des groupes commandos nous poursuivent dans les cachettes, voilent nos films, vident nos cartes numériques, nous jetent dehors. Pourtant, nous ne voulons rien d'autre que garder un peu de mémoire sur ce qui a fait vivre des centaines d'ouvriers.
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PIWB : La mise à disposition gratuite des photographies ne risque-t-elle pas de créer des abus dans l'utilisation
de celles-ci?

VD : "Les photos sont gratuites pour les sans-le-sous : particuliers, étudiants, asbl, chercheurs. Elles sont payantes pour les médias : télévisions, journaux, sauf s'il s'agit de petites structures ou s'il s'agit de protection du patrimoine. Mais nous n'avons pas trop d'inquiétudes, cela n'intéresse pas les médias, le patrimoine ne fait pas d'audimat. Ils nous interpellent sur l'exploration urbaine, qui prend de plus en plus l'apparence de "grand frisson'' : des jeunes qui entrent dans tout et qui vont partout pour le fun. On se démarque d'eux car ils n'amènent pas un témoignage positif, que ce soit vis-à-vis des médias, des propriétaires, du public.
Dans ce cadre-là, il n'y a pas trop d'abus me semble-t -il, c'est une question d'appréciation et de juste milieu. Pour bon nombre de lieux, je me refuse à vendre les photos, quelle que soit l'utilisation, parce que je ne peux pas vendre ce qui m'a été donné par des propriétaires si sympathiques. Je ne peux exploiter le dévouement d'autrui. C'est une conviction, certainement discutable ...
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PIWB : Quels sont vos futurs projets ?
VD : "La cokerie d'Anderlues est un projet très avancé. Nous avons récupéré 60 kilos d'archives manuscrites, complètement par hasard, cachées sous une armoire renversée et brisée par des pillards. Nous avons hérité d'une liste du personnel entre 1983 et 1998 sur base de laquelle nous avons invité les ouvriers à revenir sur le site industriel. Nous avons dressé leur portrait et enregistré leur témoignage. C'était un rêve pour nous de pouvoir écouter les ouvriers.

Maintenant que cette premiere étape est réalisée, nous sommes à la recherche d'un historien industriel qui serait intéressé de poursuivre l'analyse sociologique. Cette petite usine était le vestige - je dirais l'archétype - d'une société industrielle à structure familiale, ce qui devient moins fréquent de nos jours. Il devient rare de voir des sociétés où l'on travaille toute sa vie, où l'on fait embaucher son fils. Avec nos maigres compétences, nous avons initié un mouvement qu'il faudrait maintenant solidifier par une expérience d'historien ou de sociologue.
Le but est de réaliser un document historique d'archéologie industrielle afin de reconstituer des souvenirs de l'usine. Le mot souvenir est important car notre projet a des limites. Nous ne voulons en aucun cas prendre parti sur le sujet des pollutions. Nous ne sommes pas habilités à discerner le vrai du faux et nous ne pouvons établir des responsabilités. Il va de soi que tout simplement, nous ne sommes pas compétents pour juger.
Nous travaillons également sur le sujet du Bruxelles mystérieux. Le patrimome est très largement sollicité. C'est un travail effectué en collaboration avec Schuiten & Peeters. Le titre est un peu accrocheur (médiatique on va dire). Nous profitons de cette occasion pour faire une description du patrimoine civil, religieux et industriel de Bruxelles. Ce n'est pas sans difficultés, mais ça avance régulierement ...
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A souligner, comme pour mieux s'imprégner de l'atmosphère des lieux immortalisés, une section de sons enregistrés dans les usines et mines abandonnées, ajoutant ainsi une dimension supplémentaire aux chefs-d'oeuvres exposés.
Les reportages sont classés chronologiquement et géographiquement. Ainsi, la Lorraine, la Meuse, les Ardennes, l'Aisne, le Nord, Paris, la Bourgogne, le Massif Central, les Alpes et la Provence ont aussi été explorés. Idem pour la Belgique, où les friches Industrielles sidérurgiques ou souterraines ne sont pas en reste.
Au niveau des thèmes étudiés, les Industries extractives et métallurgiques se taillent la part du lion bien que les reportages se diversifient dans des thèmes touchant aux chemins de fer, les chantiers navals, les égouts, les Industries textiles.
Un outil à consommer sans modération en n'oubliant pas qu'à l'instar des réseaux souterrains, les risques de s'y perdre sont très élevés !