Actualités - La minoterie d’Anderlecht, une réaffectation intéressante

Publié le 15 janvier 2010

Par Guido Vanderhulst,

Située quai de Biestebroeck, devenu quai Demets, la minoterie d’Anderlecht, aussi appelée Moulart du nom de son fondateur, est un immeuble industriel particulièrement emblématique pour la région bruxelloise et pour la commune d’Anderlecht.

Avec la Brasserie ATLAS, anciennement St Guidon, l’ancienne Centrale électrique des Tramways bruxellois au quai Demets, la halle des Abattoirs d’Anderlecht et le bassin de Biestebroeck, dévolu aux énergies charbonnières et pétrolières, Anderlecht et la Région disposent, dans un périmètre rapproché, de quatre éléments exceptionnels et significatifs du développement industriel de la Région, et qui plus est des raisons de son implantation sur ce territoire (et des conditions de travail innommables !).

 

Le contexte…

C’est évidemment l’ouverture du Canal de Charleroi en 1825 qui est l’élément structurel principal. Il permet l’arrivée dans la capitale du jeune royaume du charbon qui fait entrer la région dans l’ère de l’industrialisation, au point qu’en 1886, la Belgique est considérée comme la quatrième puissance mondiale, avec un emploi manufacturier concentré à 80 % en région bruxelloise.

L’on soupçonne à peine les conditions d’extraction du charbon et les conditions d’exploitation de la classe ouvrière, femmes et enfants compris! C’est la même année que se déclenchent les grèves tragiques de 1886, avec morts d’hommes, contre l’exploitation et les réductions d’emplois, dans les verreries et dans les mines.

Le Canal de Charleroi a apporté, non seulement le charbon, grâce surtout aux fameux « baquets » créés par le même ingénieur wallon, Vifquain, qui conduisit le creusement du canal sur le modèle anglais, mais aussi les grains de blé pour produire la farine, l’orge indispensable aux brasseries, les matériaux de construction du nord : la brique et le sable, du sud : la pierre et le bois. C’est donc tout naturellement que s’installent sur les rives du canal, à l’époque très peu bâties, minoteries et brasseries, mais aussi centrales électriques, industries mécaniques, chantiers de taille de pierre, menuiseries, charpenteries, cimenteries, chantiers de charbon…

Le Canal de Charleroi a été creusé 300 ans après celui de Willebroeck, mais était déjà souhaité à la même époque, il y a quatre cents ans.

L’industrialisation débute véritablement avec la vapeur : celle des machines à vapeur d’une part, première énergie qui a pris la relève des moulins à vent ou à eau, et a facilité le travail des hommes, celle des locomotives, d’autre part (le premier train du continent quitte l’allée verte à Molenbeek, pour Malines en 1835). Le charbon est alors aussi essentiel que le pétrole aujourd’hui. D’autres atouts de la région sont la qualification de sa main-d’œuvre issue de l’artisanat et de l’immigration wallonne et flamande, mais aussi allemande et anglaise. La localisation au cœur du pays et déjà au cœur de l’Europe aura toute son importance. Le chemin de fer belge, avec son noeud en région bruxelloise, deviendra le réseau ferré le plus dense au monde en 1880.

C’est en 1903 que la minoterie est construite par Léon Moulart au quai Demets. Il est meunier lui-même à la rue Bara. C’est déjà une minoterie « moderne » qui présente toutes les caractéristiques d’un immeuble industriel, avec une machine à produire, tel que les Anglais, précurseurs en la matière, le définissent. Mais ce sont des Allemands qui le construisent en appliquant leurs techniques en béton sur un sol marécageux.

La dissociation des silos à grains du corps du bâtiment dans lequel le grain est broyé est fondamentale : le grain, qui ne serait pas assez sec, chauffe et peut provoquer l’explosion des silos. Par ailleurs, toute cette poussière, très nocive pour les ouvriers, peut prendre feu. La charge au sol peut être grande. Le grain est conduit vers les broyeurs à cylindres différents selon la farine voulue : blanche, grise, complet… Il descend donc en cascade du haut vers le bas où il est mis en sac ou livré en vrac. On applique ainsi les dispositifs mis au point déjà pour les filatures, planchers et colonnes en béton, peu sensibles au feu. La partie à front du canal présente cinq niveaux de 500 m² brut. La partie arrière, qui dispose d’une cave semi-enterrée, présente six niveaux de 300 m² brut. Les constructions entre les deux sont postérieures : il s’agit surtout d’un plancher en béton reliant les deux immeubles. La cour ancienne est couverte et encore visible.

L’architecture est appelée « classicisme industriel » et présente des pilastres et une frise lombarde, de briques en arceaux, sous la corniche. La minoterie Ricquier, qui était en face, sur les terrains de ce qui deviendra l’Ecole Erasmus, était du même type. Paris, Strasbourg et d’autres villes européennes ont bénéficié du même savoir-faire architectural typique de cette époque. Elles se localisaient près des grandes villes, la demande en farine y étant très importante et les moyens de transport conséquents.

A son apogée, dans les années 1930-1940, cette minoterie aurait occupé une trentaine de personnes et fonctionnait 24 heures sur 24, six jours par semaine. Elle produisait chaque jour environ 80 tonnes de farine, destinée pour l’essentiel à des boulangeries. En 1940, l’architecte Maufroid intervient pour une extension. Les propriétaires s’adaptent à la concurrence et font de la farine pour le bétail et même pour les colombophiles jusqu’en 1965, année de la fermeture. Ils profitèrent d’une prime à la fermeture offerte par le gouvernement pour contrer la surproduction nationale. La consommation de pain, forte après la guerre, diminue sensiblement avec l’amélioration du bien-être. Par ailleurs, les menaces d’élargissement du canal dans ces années-là laissent l’immeuble à l’abandon, comme plusieurs de la région sur la même rive du canal. Le site historique comprenait les deux grands ateliers à l’arrière, aujourd’hui détenus par des propriétaires différents. Un raccordement à la voie de chemin de fer et un pont tournant existaient.

L’entreprise sera louée à un marchand de pneumatiques, avec montage et réparation. La façade sera fortement modifiée, surtout dans sa partie basse, avec le percement de deux ouvertures pour rentrer des véhicules. Le retour à l’original est possible.

La minoterie est une des quinze minoteries que comptait Bruxelles dans les années 1930. Des dépôts de farines existaient également (les farines Remy de Louvain par exemple). Aujourd’hui, six anciens immeubles de minoterie existent encore dans la région, dont un seul site est en activité : les meuneries bruxelloises devenues CERES, propriétaires du groupe français Soufflet, meuneries d’un très grand intérêt d’architecture industrielle localisée dans l’avant-port.

Les établissements LABOR, seul fournisseur bruxellois en charbon, ont été fondés par le même Léon Moulart.

L’intérêt de cet immeuble industriel d’Anderlecht est manifeste et mérite une mise en valeur tirant parti de ses qualités de construction et de ses potentialités, comme sa localisation, ses grands plateaux. Une restauration respectueuse de ses qualités permettra une réaffectation empreinte d’un cachet enviable, que ce soit pour la transformation de matières, le montage de machines et des ateliers.

Il vient d’être acquis par une coopérative dont sont membres la SDRB (Société de Développement de la Région Bruxelloise) et d’autres partenaires, comme la Commune d’Anderlecht et la société des Abattoirs, pour être restauré et devenir un centre d’entreprises, d’interprétation du Canal et des quartiers environnants très dépréciés actuellement. Le programme européen Feder y participe.