Actualités - Des Verviétois à Bradford !
Mis à jour le 4 juin 2018Mise à jour du 4 juin 2018 - Carnet de voyage
par Jacques Crul
Du 16 au 19 avril 2018, la Maison du Tourisme du Pays de Vesdre (Verviers) a organisé un voyage-découverte de la ville textile anglaise de Bradford, près de Leeds, dans le Yorkshire, avec laquelle elle est jumelée depuis le 2/06/1970, en même temps que deux autres villes textiles européennes, Roubaix dans le Nord de la France et Mönchengladbach en Allemagne (Rhénanie du Nord-Westphalie).
Ayant eu la chance et le plaisir d’être de ce voyage, je vous en livre ici les découvertes majeures que j’ai pu y faire en matière de patrimoine industriel : le site de Saltaire, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2001, le « Lister Mills », qui fut la plus grande usine de soie au monde, le « Wool Exchange » ou bourse d’échange des laines, devenu aujourd’hui une librairie, « Little Germany » ou la petite Allemagne, un quartier de Bradford comportant pas moins de 55 immeubles classés du XIXème siècle, et le Musée de l’Industrie, installé dans une ancienne filature, dédié entre autres à l’industrie textile. La reconversion de nombre d’anciennes usines textiles en logements, en bureaux et autres activités commerciales ou industrielles y est remarquable, tant par la quantité d’immeuble reconvertis que par l’audace et la qualité de certaines réalisations.
Le caractère de « cité ouvrière » y est également très marqué. Plus de la moitié des quelque 300.000 habitants que comptent la ville et sa proche banlieue sont hébergés dans des corons dont l’alignement caractérise le schéma urbain. Nous nous trouvons ici dans une région pauvre d’Angleterre, alors que la cité fut la capitale mondiale de la laine et plus spécifiquement de la laine peignée au XIXème siècle !
Saltaire
Saltaire est une cité industrielle bâtie autour d’une usine textile érigée en 1853 par Titus Salt, un patron soucieux de la santé et du bien-être de ses ouvriers, dans toute l’acception paternaliste que cette préoccupation pouvait avoir à cette époque.
Le développement anarchique de l’habitat autour des usines textiles au XVIIIème et dans la première moitié du XIXème siècle avait fait de Bradford une cité où les problèmes d’hygiène et de promiscuité posaient de réels soucis pour la santé et pour le bien-être des travailleurs. S’inspirant de modèles précédents, comme celui de New Lanark en Ecosse, Salt décide de délocaliser son usine et ses 3.000 ouvriers et 1.200 métiers à tisser à Shipley, en périphérie de Bradford.
Le lieu n’est pas choisi au hasard. Il se situe le long d’une voie de chemin de fer et d’un canal qui relie le village à Leeds et Liverpool. Ces voies de communication permettaient une exportation rapide des produits. Titus Salt s’était spécialisé dans le tissage de l’alpaga et d’autres fibres rares, ce qui avait forgé sa réputation et sa richesse.
Le succès est au rendez-vous et le nombre de travailleurs grimpe rapidement à 4.000 unités ! Conjointement à l’érection de l’usine, Salt construit une première série de logements ouvriers, de grande qualité pour l’époque. Il utilise la pierre locale pour les murs et de l’ardoise du Pays de Galles pour les toitures. Les maisons disposent de deux ou trois chambres à coucher, de toilettes, de l’eau courante, de l’égouttage et d’un éclairage au gaz. Elles sont « hiérarchisées », c’est-à-dire que leur taille et leur confort varie selon le rang de son occupant dans la hiérarchie de l’usine. Quelque 600 maisons de ce type seront construites entre 1854 et 1868.
Il construit également divers équipements collectifs pour la santé et le bien-être des travailleurs : un hôpital, une église, un parc pour les loisirs, un réfectoire, des bains publics, une salle des fêtes, des écoles, des magasins, des logements de charité (pour les pauvres et les infirmes), mais oublie volontairement de créer des pubs ! Un institut dédié aux arts et aux sciences viendra compléter l’ensemble après la mort de Salt en 1876.
L’usine subit deux agrandissements majeurs : le premier en 1868 et le second entre 1907 et 1909. L’architecture originelle s’inspire de la renaissance italienne, tant pour l’usine que pour les logements et les édifices publics. Elle évolue ensuite vers le gothique victorien, dont on trouve l’inspiration dans les maisons de charité notamment.
La production atteint son apogée en 1895. Les premières grandes difficultés apparaissent lors de la crise de 1929. Les maisons sont alors vendues à un agent immobilier de Bradford, marquant ainsi la fin de l’ère Salt.
Les affaires périclitent progressivement après la seconde guerre mondiale jusqu’à l’arrêt de l’exploitation en 1986.
En 1987, un jeune et dynamique entrepreneur, Jonathan Silver, rachète les bâtiments de l’usine et décide de les dédier à l’art en général et notamment à l’artiste local de renommée mondiale David Hockney, dont les collections sont exposées au rez-de-chaussée et au 3ème étage de l’usine originelle. Il y développe une boutique, un restaurant et un magasin de mobilier design.
Le reste des bâtiments est dédié à des activités tertiaires, essentiellement des bureaux.
En décembre 2001, le site est reconnu comme patrimoine mondial de l’Unesco, une reconnaissance largement justifiée par ce que ce «village» représente comme symbole de l’histoire de la révolution industrielle et du paternalisme de la seconde moitié du XIXème siècle, à l’instar d’un site comme Bois-du-Luc, à La Louvière, avec lequel il présente de nombreuses similitudes !
Le « Lister Mills »
Egalement appelé « Manningham Mills », cette usine, construite par Samuel Cunliffe Lister dans le Manningham district de Bradford, fut la plus grande usine de soie au monde lors de sa construction en 1873, en lieu et place de l’usine originelle Manningham, détruite par un incendie en 1871.
A son apogée, elle employait 11.000 travailleurs, répartis sur une superficie de 109.000 m² d’ateliers et produisait essentiellement de la soie et du velours. Elle se distingue également par son imposante cheminée en pierre de 76 m de hauteur, qui domine tout l’horizon de Bradford.
Jusqu’à son électrification en 1934, elle fonctionnait au moyen de gigantesques chaudières à vapeur consommant hebdomadairement quelque 1.000 tonnes de charbon provenant de la proche cité de Wakefield, où on peut aujourd’hui visiter une des quatre mines de houille souterraines d’Europe accessibles par leur puits d’origine, le Yorkshire Mining Museum. L’approvisionnement en eau était assuré par un immense réservoir d’eau couvert, aujourd’hui reconverti en parking souterrain. Durant la seconde guerre mondiale, l’usine s’est notamment démarquée par sa production de soie pour parachutes et de vêtements militaires. La production déclina fortement dans les années 1980, notamment en raison de l’émergence de la production de fibres artificielles. L’usine ferma ses portes en 1992.
En 2000, la société de promotion immobilière Urban Splash racheta l’usine et y développa un plan de reconversion en appartements, ateliers, bureaux et espaces publics, avec l’aide partielle des pouvoirs publics. Fin 2004, 2.000 personnes faisaient la file devant l’usine pour y acheter un des 131 premiers appartements dans la « Silk Warehouse ». Un deuxième building, le « Velvet Mill », fut reconverti en 2007 et un master plan fut élaboré en 2009 pour la suite de la reconversion.
Le temps fut malheureusement trop court pour visiter cet endroit, pour lequel je manque dès lors d’informations « up to date », qui sont les bienvenues.
Wool Exchange
Le Wool Exchange, ou « Bourse aux Laines », fut construit entre 1864 et 1867, en style gothique vénitien, typique de l’architecture victorienne.
Seuls les membres étaient admis dans le bâtiment, où les échanges se faisaient par contrat verbal. Deux restaurants se trouvaient dans la partie inférieure de l’édifice, avec deux qualités de service différentes (mais une même cuisine !). Ils étaient accessibles aux non-membres et étaient dès lors un lieu important de la vie des affaires de Bradford.
La fonction de bourse d’échange prit fin dans les années 1960. La partie principale est maintenant reconvertie en une très belle librairie. Différents commerces horeca et autres occupent les espaces restants. Plusieurs statues ornent les alentours, notamment une statue du français Joseph Marie Jacquard, inventeur du métier à tisser du même nom et de diverses machines programmables, ancêtres de nos ordinateurs.
Quartier « Little Germany »
Le quartier « Little Germany » fut construit au XIXème siècle par des marchands de laine allemands qui y bâtirent leurs entrepôts lorsque la cité fut devenue capitale mondiale de la laine. La rigueur architecturale allemande se retrouve dans le style des bâtiments, reconvertis pour la plupart en logements, bureaux et commerces, et qui forment aujourd’hui encore un ensemble architectural extraordinaire.
Le Musée de l’Industrie
Installé dans une ancienne usine textile, une filature de la société « W & J Witheheads », le musée devient dans les années 1970 un des premiers musées industriels du pays.
Bâti dans un style victorien, il comprend la maison du propriétaire de l’usine, une rue pavée de petites maisons ouvrières, des écuries pour les chevaux, et diverses salles consacrées à la force motrice, aux transports, à l’imprimerie, et bien sûr au textile, en distinguant filage et tissage. De nombreuses machines sont toujours en état de marche et des bénévoles proposent des démonstrations aux visiteurs. La présentation est certes un peu vieillissante mais l’enthousiasme des personnes qui travaillent au musée compense largement ce petit déficit d’image.
De nombreux autres immeubles reconvertis en logements, bureaux, brasseries, restaurants, comme par exemple à Shipley le long du canal Leeds-Liverpool, rappellent le passé industriel de la ville, dont je retiens essentiellement la qualité des restaurations effectuées, que ce soit par les pouvoirs publics ou par des promoteurs privés. Un exemple qui pourrait aisément inspirer des villes comme Verviers ou Mouscron par exemple.
Jacques CRUL, secrétaire
8 mai 2018
Retour sur le passé industriel verviétois à Bradford (Royaume-Uni) grâce à un reportage proposé par TéléVesdre-Vedia.