Actualités - Le puits du coron d'Harchies

Publié le 1 mai 2012

Par Bernard Delguste

Il fait partie de l'univers quotidien des habitants du coron du charbonnage d'Harchies.  Bientôt, plus personne, avec la disparition des derniers mineurs et de leur famille de cet ensemble d'habitations créé au début de vingtième siècle, ne pourra en raconter l'histoire.  Celle-ci présente d'ailleurs de nombreuses zones d’ombre.

Tout le monde dans le coron connaît bien cette construction en briques et pierre bleue, située en plein centre de l'agglomération de maisons de mineurs, qui présente la particularité d'être de forme octogonale ; sa couverture est constituée d'une dalle de béton.  Les années et le vandalisme en ont altéré la silhouette, ses fenêtres ont disparu et sa porte tient à peine à ses gonds.  Heureusement, les constructions de son époque étaient robustes et faites pour durer.

A l'intérieur, subsiste toujours, mais en mauvais état, la rambarde qui surplombe le puits proprement dit, ce dernier étant cuvelé de briques.  La nappe aquifère se trouve à quelques mètres du niveau du sol.  On distingue latéralement une galerie voûtée qui semble prendre la direction des installations de la fosse, vers le sud, et par lequel s'évacue l'eau jaillissant en petite quantité.  On distingue encore une voûte en maçonnerie et l’ébauche d’une autre galerie dans la direction du coron, vers l’est.  Enfin, noyée dans cette eau, reste une pompe avec ses tuyauteries et ses deux volants d'inertie.

 

Mais quelles sont les origines de ce puits et sa destination ?

Selon un article écrit par un auteur anonyme dans le numéro 5 du 1er octobre 1956 de la revue périodique trimestrielle « L’Iguanodon », publiée par les Charbonnages de Bernissart, il s'agirait d'un ancien puits de mine, foncé en 1804 par le comte de Mérode  pour chercher le charbon.  Les documents d'époque rapportent qu’à cause de venues d’eau pratiquement insurmontables pour le matériel de pompage de l’époque (une machine à chariot entraînant quatre pompes de 23 cm de diamètre), cette recherche a coûté très cher à son initiateur qui a dû abandonner l'entreprise en 1808 après avoir atteint le niveau de 110 mètres et, surtout, que le puits a été comblé.  Il semble donc que cette hypothèse ne puisse être retenue. A plus forte raison quand on consulte la carte de la concession de Pommeroeul établie vers 1850 à partir de celle de la concession de Blaton dessinée en 1829 : le puits de Mérode est bien renseigné mais à l'extrémité, pratiquement, de la rue Marquais et non au nord de celle-ci.  Une erreur de localisation de plus de 150 mètres semble impossible, même à cette époque. 

La même erreur semble s’être reproduite dans la carte géologique de la région établie par Monsieur Marlière. Le point 73 de cette carte est décrit comme l’emplacement du « puits d’alimentation pour le puits d’Harchies » et il est précisé que son fond se situe à 131,65 mètres, soit exactement la profondeur du puits qui nous occupe.  Mais sa localisation se rapproche très nettement de celle attribuée sur la carte de la concession de Pommeroeul, au fameux puits du comte de Mérode.  Cela signifie donc qu’il faut utiliser cette carte avec beaucoup de circonspection.  Au même endroit, elle comporterait une autre erreur : le point 173 est censé représenter le puits N° 1 alors qu’un plan de surface prouve que cet emplacement est celui du réfrigérant de la centrale électrique.

Une recherche dans les Annales des Mines de la fin du XIXème siècle et du début du XXème nous permet de trouver directement la vérité.  Il faut savoir que, pour la première fois dans notre pays, les deux puits du charbonnage d'Harchies allaient être foncés selon une technique particulière employée, peu de temps auparavant, à Vicq, dans le Nord de la France, à quelques kilomètres au sud de Condé : la congélation des sols, également connue sous le nom de « procédé Poetsch », du nom de l’ingénieur allemand qui le mit au point dès 1890.  Ce procédé, démarré pour le puits d’extraction N° 1 le 18 mai 1899, permit de vaincre facilement les venues d'eau, toujours très importantes dans notre sous-sol. La première livraison (tome V) des Annales des  Mines de Belgique de l’année 1900 nous précise bien que « le puits, destiné à fournir l’eau nécessaire aux condenseurs d’ammoniaque, a été creusé à 175 mètres au nord et 207 mètres au couchant du puits du Levant », soit du puits N° 2 à l’est.  Ces coordonnées, rapportées sur une carte I.G.N., correspondent tout à fait à celles du bâtiment qui nous occupe.  Il y est également précisé que le puits est équipé d’une pompe duplex Burton (certainement à vapeur) pour refouler l’eau vers le puits N° 1, donc, vraisemblablement, pour assurer un débit régulier et continu.

L’article décrit les différents terrains traversés jusqu’à la profondeur terminale de 131,65 mètres, dans le « grès verdâtre dur, avec de gros galets noirs et roux ».  L’opération de creusement des deux puits avec congélation des sols s’est prolongée jusqu’au milieu de l’année 1904.

 

Qu’est-ce que le procédé de fonçage Poetsch ?

Un réseau circulaire de tuyauteries concentriques reliées à des couronnes d’alimentation et dont le tube extérieur est fermé à la base, entoure la zone à foncer.  Dans ce réseau circule un mélange de saumure (chlorure de calcium) refroidie et amenée à une température négative qui congèle localement les terres, donc l’eau qu’elles contiennent, formant autour de la zone à creuser une sorte de « mur de glace ».  Ce refroidissement est assuré par un système frigorifique semblable à nos frigos classiques mais employant, à cette époque, comme fluide frigorifique le gaz ammoniac (combinaison de l’azote et de l’hydrogène : NH³).  Pour opérer le cycle complet compression du gaz – condensation vers la phase liquide – détente – vaporisation en phase gazeuse, il est nécessaire de disposer d’une source « froide » pour condenser le gaz en lui enlevant les calories collectées lors de son évaporation dans les terres à congeler.  Cette source froide était, à Harchies, constituée par ce débit d’eau fraiche puisée à grande profondeur.

 

Après 1904

Une carte postale, oblitérée en 1911, nous montre une partie du coron avec un groupe d’enfants.  On y distingue nettement le bâtiment octogonal.  Il est alors surmonté d’une structure qui peut faire penser à une toiture, à moins qu’il s’agisse d’un réservoir tampon pour l’alimentation de la pompe.  Une tuyauterie accrochée sous les corniches court le long des façades.  Elle est alimentée par la pompe via une conduite souterraine sous la route : le bout de ce tuyau est toujours visible sous la rambarde.  La tuyauterie aérienne prend nettement la direction du charbonnage, peut-être même celle du château d’eau de la fosse.  Monsieur Aldo Poloni, ancien mineur et habitant d’Harchies, nous affirme que ce réseau servait à alimenter les chaudières à vapeur, assertion confirmée par un autre mineur d’origine polonaise qui a habité le coron durant de longues années. 

Il faut savoir que les charbonnages du début du vingtième siècle recouraient d’une façon importante à la force motrice de la vapeur, notamment pour les machines d’extraction et d’exhaure.  De plus, ils disposaient d’une centrale thermique, dont les chaudières généraient la vapeur nécessaire à l’entraînement des machines de production d’énergie électrique.

Une autre certitude, c’est que les habitants du coron devaient se ravitailler en eau à différents puits équipés d’une margelle et d’une poulie, comme nous le montent d’autres photographies de l’époque, et que l’équipement qui nous intéresse n’avait aucune liaison avec l’usage courant de l’eau par les riverains.  Monsieur Poloni précise que la distribution d’eau courante publique n’a été installée dans ce coron que dans l’année 1947.

 

Vers 1931

Une autre carte postale, oblitérée, elle, en 1931, nous montre le même quartier du coron.  On y remarque la disparition de la superstructure du bâtiment de pompage et de la tuyauterie aérienne le long des façades.  Cela laisse donc supposer que l’alimentation en eau du charbonnage a soit été supprimée soit modifiée.

 

Et cette fameuse galerie souterraine voûtée ?

Les explications qui suivent proviennent des souvenirs de nos témoins, qui ont tous été adolescents pendant la période de la seconde guerre mondiale.  C’est dire si la période qui est comprise entre l’année ci-dessus et 1940 est très mal connue et que nous ne pouvons qu’émettre des suppositions puisque les archives du charbonnage d’Harchies ont pratiquement toutes disparu.

Monsieur Henneghien, né dans les années trente, qui est descendu « à fosse » dès ses treize ans et qui a habité de longues années avec ses parents et son frère dans deux maisons du coron, pense que cette galerie devait servir au passage des ouvriers chargés de l’entretien, de la surveillance et de la réparation du matériel et, plus particulièrement, de la pompe et de sa machine à vapeur.  Elle leur évitait de devoir ainsi traverser régulièrement les allées.  Cette explication vaut ce qu’elle vaut, mais ne peut être recoupée.

Monsieur René Fagnart, ancien électricien à la fosse d’Harchies, se souvient que cette galerie aboutissait dans une des pièces du magasin de pièces de rechange, en bordure de la rue Marquais, magasin qui a remplacé des écuries, comme en témoigne encore la présence d’auges. Ce magasin est d’ailleurs dans l’alignement de la rue du coron et du bâtiment de pompage.  Il croit également se souvenir que la galerie servait de passage tant à la tuyauterie de vapeur pour la machine d’entraînement de la pompe que pour le réseau d’eau.  Cela expliquerait la différence entre les deux cartes postales.  Pour lui, les douches des ouvriers, voisines de ce magasin, étaient alimentées par une autre source, peut-être le château d’eau.  Nous ignorons où se trouvaient la ou les chaudières de production d’eau chaude pour ces douches.

Monsieur Fagnart signale également que la galerie et le bâtiment de pompage ont été pourvus en 1943 de l’électricité.  En témoigne la présence d’isolateurs en porcelaine dans les deux bâtiments.  On peut penser que c’est à cette époque, au vu des reliquats d’installations électriques dans la rotonde, que le système à vapeur piston-cylindre d’entraînement de la pompe a été remplacé par un moteur électrique.

Nos trois témoins sont unanimes pour relater trois particularités de cette galerie.

La première, c’est qu’elle leur a servi de terrain de jeu et qu’elle ne présentait pas d’humidité ni de trace d’eau. 

La deuxième, c’est qu’elle disposait, en plus de l’entrée dans le magasin et de l’échelle du  puits, d’un autre accès constitué par un puits dont la taque doit encore se trouver dans la partie engazonnée à l’arrière des jardins, dans la zone rachetée par la commune de Bernissart.

La troisième, c’est que ce tunnel a servi, pendant la seconde guerre, d’abri lors des bombardements.  Le frère de Monsieur Henneghien avait d’ailleurs creusé, derrière chez lui, une rampe pour y avoir un accès facile après avoir percé la voûte en briques.

 

Le présent et l’avenir.

La mise en place du Programme communal de Développement rural, vers l’an 2000, initié et animé par les agents de la Fondation rurale de Wallonie, a enclenché une série de redécouvertes du patrimoine bâti de la commune de Bernissart, comme le site de la Machine à Feu de la rue des Iguanodons.  La station de pompage du coron d’Harchies en est une autre.  Le bâtiment est devenu propriété communale en 2002 et, en 2010, la décision a été prise de préserver la construction.  Une première étape a été franchie avec succès lors du dépôt d’une demande de subside pour sa réhabilitation auprès du Service public de Wallonie DGO4 – Département du Patrimoine – Direction de la Restauration – Petit Patrimoine populaire wallon.

La contribution des pompiers communaux sera probablement demandée pour vidanger, au moins partiellement, le puits afin de reconnaître sa composition inférieure et de pouvoir étudier et sauvegarder la pompe et ses accessoires.  Celle du service communal des travaux le sera également pour la localisation et le dégagement de la trappe d’accès à la galerie.

La prise de conscience de la préservation du bâti patrimonial est maintenant un fait acquis.  Quand on regarde ce qu’il est advenu du carreau de la mine d’Harchies et de ses environs, on ne peut que s’en féliciter.  La sauvegarde et la mise en valeur du bâtiment de pompage du coron, à l’instar de celui de la Machine à Feu, permettra d’alimenter ce que l’on appelle généralement la mémoire ouvrière et de témoigner du passé industriel de notre région.